L’Aliéniste de Caleb Carr


Dans l’antre de la folie

Né en 1955 à New York, Caleb Carr a fait des études d’histoire. Spécialisé dans l’histoire militaire, il a élaboré le concept de « la violence organisée » et a écrit nombre d’essais et d’articles sur la diplomatie et la stratégie. Cependant, c’est vers la littérature et plus particulièrement le roman policier que Caleb Carr se fait vraiment connaître du public.

L’Aliéniste paru dans les Presses de la Cité en 1995 (pour la traduction française) a immédiatement été remarqué. Il a obtenu le Grand Prix de la littérature policière et le prix Mystère de la critique. L’auteur gagne, par ce premier chef-d’œuvre, une place de choix parmi les maîtres du genre tels que Herbert Lieberman pour ne citer que lui.

Comme l’atteste dans ses remerciements à la fin du roman, monsieur Carr reconnaît devoir beaucoup aux travaux du docteur David Abrahamsen :

« C’est en procédant aux recherches préliminaires pour ce livre que m’est venue l’idée que le phénomène que nous appelons aujourd’hui le meurtre en série existe depuis que des êtres humains vivent en société. Cette intuition d’amateur fut confirmée par le Dr David Abrahamsen, l’un des plus éminents experts américains sur la violence en général et les serial killers en particuliers. Il m’a en outre indiqué d’autres voies de recherche plus approfondies, et je tiens à le remercier de ses conseils. »

Mais de quoi s’agit-il ? Quelle est l’histoire dont nous raconte l’Aliéniste ?

Nous sommes au tournant du 19ème siècle, New York n’est pas encore devenue la ville – monde. Tout est encore à construire. C’est dans ce contexte d’urbanisation en accéléré qu’un tueur d’enfants sévit dans les bas-fonds de la ville. Manhattan et ses rues obscures deviennent son terrain de chasse. Dans un monde qui se structure et dont les fondements trouvent leurs assises dans la rationalité et le positivisme social, ces crimes interpellent par leur violence. Les victimes du tueur sadique sont de jeunes garçons prostitués. Le bourreau pratique une forme de rituel macabre sur leur corps démembrés. C’est alors qu’entre en scène une équipe de choc : un préfet, le célèbre Théodore Roosevelt, 36ème président des Etats-Unis d’Amériques, Lazlo Kreizler, pionner de la psychiatrie et des sciences du comportement humain. Lazlo va être secondé dans son enquête par John Schuyler Moore, un chroniqueur criminel et d’une certaine Sara pour son sens de l’analyse. Ils vont donc mener l’enquête dans un univers où policiers et truands se disputent pour la gestion du territoire de New York.

Contrairement à la violence exercée par la police corrompue, Lazlo s’intéresse aux comportements des criminels. Il recueille leurs récits de vie, étudie l’évolution de leur violence jusqu’au passage à l’acte, examine et analyse leur signature. Il donne une place importante au compte rendu du médecin légiste et jette ainsi les premières bases de la victimologie. Avec patience et analyse, il trace la cartographie du criminel, détermine ses zones de confort, ses modes opératoires jusqu’à la traque finale.

Plus qu’un roman policier, L’Aliéniste met en scène l’intrigue criminelle sur un fond historique. New York devient un personnage protéiforme. La ville se révèle au gré des déambulations des personnages en quête de proies ou de pistes exploitables. En effet, il est important de retenir que le dessein premier de Théodore Roosevelt et de ses amis consiste à « civiliser » New York. Ainsi, il est nécessaire de se battre contre la corruption et la mafia qui gangrènent la toute jeune ville. New York doit faire asseoir sa justice et repousser les ténèbres de l’ignorance et la pauvreté.

L’Aliéniste est aussi une peinture d’une société qui croit au progrès de l’homme. Et qui mieux que Lazlo pour incarner cette nouvelle humanisme triomphante ? Ce dernier puise dans le positivisme et dans les prémisses de la psychologie pour étudier la complexité de l’âme humaine. Il cherche à comprendre la souffrance, les traumatismes qui expliqueraient l’étiologie d’un mal : le tueur en série. C’est pourquoi il est intéressant de s’attarder sur le titre en anglais –comme en français –. L’aliéniste résume à lui seul la portée de l’intrigue. Reportons-nous à la note de l’auteur :

« Avant le 19ème siècle, les malades mentaux étaient considérés comme aliénés, c’est-à-dire étrangers, non seulement au reste de la société mais aussi à leur propre nature. Les spécialistes qui étudiaient et traitaient leurs pathologies étaient connus sous le nom d’aliénistes »

Un roman à découvrir et pourquoi pas prolonger sa curiosité en visionnant la série du même nom, adaptée du roman…

Il est à remarquer que l’Aliéniste a une suite. L’ange des ténèbres a reçu lui aussi de bonnes critiques.


Roman traduit de l’Américain par Jacques Martinache
Editeurs : Pocket, 2018
575 pages
8,80 €

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