Sans même un adieu de Robert Goddard

Geoffrey Staddon est un célèbre architecte. Sa renommée est due à la conception d’une magnifique demeure, celle de Clouds Frome. Mais il tombe amoureux de Consuela Caswell, l’épouse malheureuse du commanditaire. Cette passion partagée va ruiner la vie privée de Geoffrey. Les malheurs s’accumulent et Geoffrey survit jour après jour en s’enfermant dans un mariage fait d’ennui et de déplaisir…
Quinze ans après la construction de Clouds Frome, Geoffrey apprend dans la presse que son ancien amour est accusée de meurtre. Il court à sa rescousse. Les conséquences sont alors désastreuses et les rancœurs, les non-dits et vérités cachés remontent à la surface. La vie de Goeffrey se retrouve alors bouleversée.
Le roman reste fidèle à la conception de l’écriture selon l’auteur. Depuis Heather Mallender a disparu Robert Goddard suit la même trame narrative: retour sur un passé douloureux, réparation d’une faute, espoir d’expiation et de rachat. Mais comme toujours, le prix à payer est très cher pour les protagonistes et les « happy end » n’existent pas forcément.
On referme le roman avec une certaine satisfaction car même si l’auteur flirte avec le roman à l’eau de rose, même si l’intrigue frôle parfois la mièvrerie, il n’empêche que l’enquête vaut la peine qu’on le lise.
J’attire les lecteurs sur la sortie prochaine d’un nouveau roman de Robert Goddard L’énigme des Foster. Sortie prévue en octobre 2021 aux éditions Sonatine.
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Roman traduit de l’Anglais par Claude et Jean Demanuelli
Ed: Le livre de Poche, 2018
795 pages
9,40 euros

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La tristesse du samouraï de Victor del Arbol

Le roman commence par l’attente angoissée d’une femme en fuite sur un quai de gare. Elle est accompagnée d’un petit garçon de 10 ans. Elle va être rattrapée par son amant. Celui-ci l’a trahie. Il travaille pour son mari. On apprend que la femme s’appelle Isabel Mola, épouse d’un général franquiste. Elle s’apprête à le fuir avec son dernier fils. Elle rejette les agissements politiques de son mari. Elle a choisi le camp des Républicains. nous sommes en 1941. Son amant est un homme de main de son époux. Il a infiltré le mouvement républicain. Il l’arrête, la torture et finit par l’exécuter dans une carrière abandonnée. L’enfant, Andres, est « récupéré » par son père. Pour l’amadouer, il se voit offrir en cadeau, un puissant sabre japonais, une réplique du légendaire Tristesse du samouraï.

Quarante ans plus tard, une jeune avocate de 35 ans, Maria Bengoechea hérite d’une affaire singulière. En effet, sur le témoignage d’une femme, elle réussit à envoyer en prison un inspecteur de police, César Alcala. Elle devient célèbre. Cependant, en bouclant cette affaire, elle a signé un pacte avec le diable et ouvre la porte au malheur, à la vengeance. Elle ne s’en sortira indemne.

La tristesse du samouraï est un roman policier mais il dépasse ce cadre. En effet, sous prétexte d’une enquête menée avec virtuosité par les protagonistes de l’histoire, le roman s’inscrit aussi dans la longue tradition des romans historiques. Victor del Arbol s’intéresse à une période difficile de l’Histoire espagnole: les années franquistes, l’implication de Franco sur le front de l’Est, la dictature et la tentative du coup d’Etat de février 1981.

L’écriture du roman est bien ciselée. Rien ne se perd et les bonds dans l’espace/temps trouve son explication dans une intrigue extrêmement bien menée.
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Roman traduit de l’espagnol par Claude Blaton
Editeurs: Actes Sud, Coll. »Babel Noir », 2013.
477 pages
8,70 euros

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Au fond de l’eau de Paula Hawkins

Lorsque les policiers sont venus lui annoncer le décès de sa sœur, Jules se retrouve alors très contrariée: «  Quand ils sont venus m’annoncer la nouvelle, ça m’a mise en colère. J’ai d’abord été soulagée, parce que quand deux policiers se présentent à la porte au moment où on cherche son billet de train juste avant de filer au travail, on craint le pire. J’ai eu peur pour les gens auxquels je tiens -mes amis, mon ex, mes collègues. Mais ce n’étaient pas eux, m’ont-ils dit, c’était toi. Alors, j’ai été soulagée, juste un instant, puis ils m’ont expliqué ce qui s’était passé, ce que tu avais fait, et quand ils m’ont dit que tu étais allée dans l’eau, ça m’a rendue furieuse. Et ça m’a fait peur. »
Jules doit donc, à contre cœur, retourner à Beckford, petite bourgade où se trouve la maison familiale, dans laquelle habitait sa sœur Nell avant son suicide avec sa fille, Lena.
Pour Jules, cela fait remonter d’anciens souvenirs amers et de drames qui ont contribué à séparer les sœurs. Cependant, il n’y a pas que cela. Jules va être confrontée à des mystères qui entourent Beckford et tout particulièrement un endroit précis de la rivière qui traverse le village et que les habitants nomment le bassin des noyées. Depuis des siècles, les femmes sont mortes dans cet endroit soit il s’agissait de meurtres soit de suicides…
La question demeure complexe pour Jules: Nel s’est-elle donnée la mort ou bien était-elle victime d’un meurtre? Y a-t-il eu d’autres victimes?
Paula Hawkins offre ici un roman très bien mené. L’atmosphère est étouffante. Le lieu est hanté par des secrets et des non-dits. Le village est en proie à des jalousies, des rancœurs et des haines qui détruisent peu à peu les liens entre les êtres. Chacun épie l’autre et la violence se tapit dans chaque geste, quand bien même, anodin, des personnages.
C’est un roman intéressant au suspens haletant. Il constitue un bon moment de lecture.
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Roman traduit de l’anglais par Corinne Daniellot et Pierre Szczeciner
Editeurs: Pocket, 2018
500 pages
8 euros.

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Ce genre de petites choses de Claire Keegan

Il s’agit d’un court roman dont l’écriture se focalise sur Bill Furlong, le personnage principal et ses pensées.
C’est un homme d’une quarantaine d’années, marié et père de 5 filles. L’histoire se déroule en 1985 en période de Noël. Furlong est aussi un chef d’entreprise. Il livre du bois et du charbon pour les foyers et a fort à faire avec le froid qui saisit les habitants de New Ross.
Bien que sa vie se déroule tranquillement entre son foyer et son entreprise, le temps de l’Avent lui fait remonter des souvenirs d’enfant. Il se souvient de sa vie solitaire: un enfant sans père, recueilli et nourri par l’employeur de sa mère, Mrs Wilson.
Or ce mois de décembre lui réserve bien des surprises. En effet, sa livraison de charbon dans un couvent va bouleverser sa vie puisqu’il va rencontrer une jeune femme transie de froid à qui on a fait passer la nuit dehors certainement pour quelques fautes obscures.
Dès lors, Furlong est mis face à un choix, soit tourner le dos à ce qu’il voit et revenir à son confort. Soit sauver la jeune femme et peut-être tout perdre…
Claire Keegan revient sur une période sombre de l’histoire d’Irlande à savoir le scandale qu’entourent les blanchisseries de Magdalen Sisters tenues par des religieuses qui exploitent et maltraitent ces « filles-mères ».
Cependant, bien que l’écriture soit concise et sombre, l’intrigue reste trop sommaire. Il manque de profondeur et d’analyse de situations dans ce récit.
Le lecteur aurait voulu une étude plus riche et une intrigue plus développée afin de mieux saisir les enjeux de ce roman.
Il reste tout de même un bon moment de lecture…
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Roman traduit de l’Anglais (Irlande) par Jacqueline Odin
Editeurs: Sabine Wespieser, 2021
112 Pages
15 euros

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Un mois à Sienne de Hisham Matar

De Hisham Matar, on connaît deux grands romans, l’Anatomie d’une disparition et La terre qui les sépare. Tous les deux traitent la thématique de l’absent. Ici, il s’agit de la disparition du père de l’écrivain, opposant du régime lybien et enlevé et tenu prisonnier dans un endroit secret. Hisham Matar n’a jamais su ce qui était arrivé à son père et même après la chute de Kadafi, il n’a jamais pu retrouver sa trace.
Dans le récit Un mois à Sienne , il n’y a rien de tout cela. Il s’agit de la déambulation de l’auteur dans la ville de Sienne en tant que voyageur, promeneur. Etranger, hôte parmi les habitants, Hisham marche, se promène, déambule dans la ville. Il découvre les endroits aux charmes discrets, des habitations aux couleurs chatoyantes. Il se fait des amis. Il réfléchit sur les valeurs de la vie, sur l’amour et la mort. Sienne devient le personnage principal de ce récit. Sienne devient une initiatrice pour l’auteur dans sa soif de l’art. Il partage avec le lecteur les peintures de l’art siennois et la réflexion sur l’art, la beauté mais aussi sur l’amour qui nous (re)lie à l’autre. L’ombre du père est toujours là…
C’est une écriture élégante, sublimée. C’est un hommage rendu à cette ville qui est Sienne et qui semble offrir un répit à l’auteur. Le récit est un intermède à des romans dont le thème principal est la quête douloureuse d’un père disparu.

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Récit traduit de l’Anglais par Sarah Gurcel
Editions: Gallimard, Coll. »Du monde entier », 2021
133 pages
14 euros

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L’eau rouge de Jurica Pavicic

Un peu sur l’auteur…
Jurica Pavici est écrivain, scénariste et journaliste croate. Il est né à Split en 1965 et a écrit 7 romans et 2 recueils de nouvelles. Ses romans traitent de sujets tels que le destin de l’individu et de la société en transition ou le fonctionnement de la famille dans la société méditerranéenne. Son roman Les moutons de Gypse a été très remarqué. Il a été adapté au cinéma sous le titre de Witness. Il a remporté le prix du jury du Festival de Berlin en 2003. L’eau rouge a reçu le prix du meilleur roman croate en 2018 et le prix Fric de la meilleure fiction en 2019.

Le roman:

Misto, 1989 (23 Septembre).
Dans ce village côtière de la côte Dalmate, une jeune fille, Silva Vela disparaît après la fête des pêcheurs, un samedi soir. Son frère jumeau, Mate et ses parents partent à sa recherche, inquiets. Après plusieurs heures sans résultats, ils se résolvent à appeler la police. L’inspecteur Gorki Sain est chargé de l’enquête. Il interroge les témoins, arrêtent les suspects mais en vain jusqu’à ce qu’il découvre que la jeune fille vend de l’héroïne pour le compte d’un dealer de petite frappe. Pour lui, elle a emporté la drogue et l’argent avec elle et s’est enfuie. A partir de là, l’enquêteur relâche ses efforts d’autant qu’un témoin a vu la jeune fille à la gare centrale le lendemain de sa disparition.

Et puis, la Yougoslavie est en train de disparaître de la carte de l’Europe. C’est la fin du communisme et du régime de Tito. Le pays est en train de se désagréger. La guerre entre Croate et Serbes gronde. La disparition de Sylva passe au second plan.

Vingt-sept ans plus tard, le corps de la jeune fille est découvert. La vérité éclate. Gorki qui a quitté la police et qui est devenu un riche négociant immobilier va « boucler » son enquête. C’est sa façon de trouver la rédemption. La vérité éclate. Les vies basculent…

L’eau rouge est un roman policier mais pas seulement. En effet, l’auteur dépeint aussi la fin d’un monde. Il insère la petite histoire dans la Grande. Le meurtre impuni de Sylva symbolise aussi la faute collective d’une société qui, âpre aux gains, s’est perdue en chemin. Il n’y a pas qu’un seul coupable mais Misto et ses habitant le sont par leurs indifférences, leurs querelles et leurs rancœur. Décidément, le traumatisme de la guerre et la transition vers un monde autre ont raison des sentiments personnels. Les ossements de Sylva symbolisent aussi la culpabilité et la faute morale de cette société.

C’est un très beau moment de lecture. Il se dégage une impression poignant. Les personnages, sont touchants. Ils ne sont ni réellement coupables ni innocents. Ils sont juste des êtres humains dont l’imperfection conduit dans l’impasse. Médiocrité et sublime se mélangent pour composer un paysage mélancolique mais non dénué de beauté.
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Traduit du croate par Olivier Lanunzel
Editions: Agullo, 2021
359 pages
20 euros

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Bluebird, Bluebird de Attica Locke

Voyage au cœur du Texas rouge

Dans le comté de Shelby, dans ce Texas rural, au bord du bayou Attoyac, le cadavre d’un homme noir est découvert. L’inconnu est un étranger dans la région. Il est de passage. C’est un homme du Nord, de là-bas, de Chicago, comme disent les gens d’ici. Là-bas, lieu de perdition. Lieu qui hante les mémoires: le Nord, ce sont ces Nordistes qui ont mis le Sud à genoux. La guerre de Sécession hante toujours les mémoires de ceux qui habitent le coin.

Le corps de l’homme montre de multiples blessures, sûrement qu’il a été passé à tabac avant d’être noyé. Cependant, il ne semble pas que ce soit un vol qui aurait mal tourné. Mais comme la victime est noir, l’enquête traine en longueur. Et puis, il se dit aussi que ce gars-là, un Noir, on l’a vu avec une femme blanche d’ici, le soir même du meurtre…

C’est alors qu’intervient Darren Mathews, un Ranger noir suspendu dans ses fonctions. En accord avec sa hiérarchie, il mène l’enquête en toute discrétion. Il doit déterminer quel a été le déroulement des événements et confondre les coupables. Sa présence pose problème aux Suprémacistes blancs du coin. Ceux-ci règnent en maîtres d’autant plus que la région est pauvre et les petits blancs ont la rancœur tenace. Avec la veuve du défunt, il arpente les rues de cette région laissée à l’abandon. Cette terre rouge du Texas ne connaît que sa propre loi, érigée par les Suprémacistes. Pour sûr, nous sommes bien loin de Houston ou Dallas. La recherche de la vérité peut coûter la vie à nos deux comparses.

Attica Locke offre ici une superbe enquête et décrit avec justesse la situation sociale du Sud profond. L’ensemble est captivant. La thématique du racisme et des rapports Blancs/Noirs sont dépeints sans concession. La lecture de ce roman rappelle les atmosphères moites et électriques de Mississippi burning ou encore de Dans la chaleur de la nuit.

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Roman traduit de l’américain par Anne Rabinovitch
Editeurs: Liana Levi, 2021
317 pages
20 euros

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Le crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie

Tout lecteur connaît l’intrigue. Le cinéma s’est déjà emparé du sujet et les films produits sont d’inégale qualité. Cependant, il est toujours plaisant de relire ce roman qui figure, selon moi, comme l’un des plus réussis d’Agatha Christie. Les deux autres sont Mort sur le Nil et Les dix convives (Poirot n’y figure pas, bien entendu).

Dans Le crime de l’Orient-Express, l’esprit de déduction et de logique est mené jusqu’à la perfection. Nous avons un Poirot au sommet de sa forme. Il est à noter que la question morale n’est pas mise en exergue dans le roman. Pour moi, seule la dernière phrase de l’intrigue est important car elle insiste sur le fait que le détective se dessaisit de l’affaire. Là où le roman s’arrêt, le scénario cinématographique commence aussi bien pour la production de 1979 que la série Hercule Poirot avec David Suchet ou encore le Poirot de 2017.

Quoiqu’il en soit, c’est toujours un plaisir de goûter au délicieux poison de la grande dame.
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Traduction revisitée de Jean-Marc Mendel
Le livre de Poche, 2021
6,40 euros

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Les lionnes de Lucy Ellmann

Une narratrice, seule, à priori dans un coin de sa conscience. Que sait-on d’elle? Ce qu’elle en dit, ce que le lecteur saisit au vol, rassemble dans ce patchwork épais d’un éclatement de la pensée, dans l’hétérogénéité des considérations. Il sera vain de chercher une intrigue, l’habituel début suivi de ses rebondissements avant un final plus ou moins inespéré. Le fil conducteur est un et unique. Celui du flux de la conscience, du souvenirs enchâssés de jeux de mots. Ici le langage s’avère crucial. Le verbe est le vecteur par lequel la narratrice retranscrit, donne forme à un magma ou flot qui surgit. Qui domine qui? Est-ce la narratrice qui oriente ses pensées vers un sujet ou est-ce plutôt ce jaillissement de mots qui compose son propre rythme? Ce courant interminable charrie les époques, les lieux, les êtres par aller et retour, scandé par un leitmotiv « le fait que… ».
Lucy Ellmann a pris un risque formel. Celui, aussi, de voir décrocher le lecteur. Pourtant, quelque chose résonne en écho de cette voix solitaire de chez celui qui parcourt ces phrases; Or plutôt, cette phrase, d’un seul souffle, puisque la seule ponctuation absente est le point. Le texte est composé d’une seule phrase qui court sur quelques 900 pages…
« Les lionnes », ces reines lasses de la savanes, c’est aussi le titre de ce roman fleuve, ce roman monologue. Cette voix solitaire créé l’attachement du lectorat. La narratrice, forclose dans sa conscience, être anonyme sans prénom, a valeur d’une certaines condition humaine. La narratrice, qui exerce l’art culinaire, évoque avec humilité ses expériences d’accords et de désaccords entre les ingrédients. un mouvement circulaire se fait jour sous cette coulée de mots, notre personnage part dans ses préoccupations professionnelles, élargit vers son cercle familial, observe les bizarreries d’attitudes du voisinage. Puis, quittant la sphère de l’intime, elle fulmine contre l’Histoire américaine, évoque celle des Amérindiens, la politique de Trump, se désole à propos du climat, de la souffrance animale.
Tout son discours se voit émaillé d’une multitude de références filmiques ou littéraires, d’airs qui lui trottent dans la tête, de listes de mots liés entre eux par leur sonorité.
La narratrice semble aussi faire montre d’une obsession pour les mémoires de Laura Ingalls Wilders.
Cependant c’est à une autre héroïne que Lucy Ellmann offre le prologue de ce roman. Une énigmatique femelle couguar. Pour quelle raison? Quel sera le lien mystérieux qui relie la fauve et notre narratrice? Voici que ce récit en discontinue chargé de poésie et de tragique, émaillé du leitmotiv « se tapir et bondir » vient se glisser en interstice dans le long monologue. La couguar connectée à son environnement par la totalité de ses sens incarne un principe vital inscrit dans l’immédiat, le nécessaire. Indissociable de ses petits, la mère couguar est une force qui va. L’environnement et sa destruction par les hommes, par ricochet l’habitat du félin, est un sujet qui taraude la narratrice. Quant à la couguar, sa nécessité fait loi. La mère lionne sait capter la beauté de ce qui l’environne. Son odyssée, sa quête pour retrouver ses petits (enlevés par des humains pétris de bonnes intentions) révèle l’engagement de l’auteur. Nul autre personnage ne saurait exprimer l’effroi, l’urgence face à la destruction de la nature, l’extension permanente de l’humain sur le territoire d’un vivant qu’au mieux il ignore et au pire, méprise. Ainsi, franchissant une frontière, un accord tacite et ancestral, la couguar va se risquer en terre des hommes. C’est un habile procédé pour dire à travers le regard d’un autre l’aberration des comportements humains. Pour prendre position à l’encontre de l’holocauste de la vie animale. Les hommes blessent la terre. Les hommes ne respectent pas les victimes dont ils mangent la chair. L’homme coupé du charnel n’est qu’arrogance, il est dépossédé de ses sens anciens. Est-ce intentionnel que ce soit un natif, un cherookee, qui trouve le premier Mishipeshu, la couguar baptisée panthère sous marine? L’auteur pose d’autres questions.
Est-ce que nos bonnes intentions, nos initiatives, nos actes destinés à sauver ou à préserver sont-ils toujours adaptés? Y a t-il une possibilité qu’un jour le règne du vivant cohabite sans s’exploiter?
Voilà que les trajectoires de Mishipeshu et de notre narratrice sont appelées à se croiser. Au lecteur de découvrir comment, de se plonger dans ce long soliloque, odyssée féline. La poésie, l’humour, l’engagement et la dénonciation se mêlent dans ce texte aux étonnants procédés littéraires.

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La fille du bourreau de Oliver Pötzsch

En préambule: ce qu’il faut savoir:
1) Il s’agit d’ici du premier tome.Le deuxième tome est déjà paru sous le titre de La fille du bourreau et le moine noir.
2) Ce premier tome publié en 2014 a reçu le prix Historia du roman policier en 2015.

Schongau, 24 avril 1659
A Schogau, les habitants sont effrayés par une série de meurtres d’enfants avec mutilations et rites sataniques, semble-t-il. Une sage-femme, Martha Stechlin est arrêtée pour sorcellerie. Elle est considérée, d’emblée, comme l’auteure de ces crimes abominables car les victimes avaient l’habitude de venir jouer chez elle.
Cependant, le bourreau de la ville et herboriste à ces heures, Jakob Kuisl, n’est pas de cet avis. Convaincu par son innocence, il va mener l’enquête. Homme intelligent et rusé, il est assisté dans sa quête par sa fille et par Simon, le fils du médecin.
Dans ce premier tome, le décor est planté. Il y a Schogau et ses habitants ainsi que les conseillers municipaux qui se disputent le pouvoir. L’auteur restitue les conditions de vie à l’orée du 17ème, dans une ville bavaroise.
La mise en scène des personnages principaux est aussi présente. Contrairement au titre en français, le roman donne une part belle au bourreau. Il est riche en complexité. Bourreau, tortionnaire, ancien mercenaire, Jakob est aussi un homme aimant les livres, le savoir et la justice. Violent, craint par son étiquette de bourreau, il est aussi doté d’humanité. L’auteur évoque ainsi l’histoire de sa propre famille car en effet, il est un descendant de la famille Kuisl, fameuse famille bavaroise où on est bourreau de père en fils.
L’intrigue est très intéressante, sans temps mort. Un vrai moment de détente et de lecture.
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Roman traduit de l’allemand par Johannes Honigmann
Editeurs: Actes Sud, « Babel Noir », 2017
488pages
9,90 euros

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